Quelle vie d’ange!
02 mars 2023
Quelle vie d’ange!
Quand il faut y aller, il faut y aller!
Profitant de l’absence de mes camarades pour quelques jours, je me suis dit : Aussi bien faire le ménage de la remise à outils afin de libérer de l’espace pour y relocaliser les objets qui encombrent présentement le local du centre d’art qui deviendra sous peu le local d’informatique. Vous savez, le jeu de domino organisationnel qui consiste à vider la case numéro 4 pour arriver à la case numéro 1.
Profitant de la fraicheur du matin, je me rends donc à la remise à outil qui est à deux pas de Marakong et j’ouvre les trois cadenas qui en gardent l’entrée. (J’oubliais. Avant de débarrer la porte il faut trouver la personne qui sait où se trouve la clef. Ensuite, il faut prier pour que la personne soit chez-elle lorsque l’on s’y rend. Ensuite, il faut croire en sa bonne étoile si, effectivement, c’est la bonne clef. Tout ça peut facilement prendre une demie journée.) Bon, j’ai le trousseau de clef dans la main. Une trentaine de clefs en tout. Trois cadenas. Rouillés. Alors, est-ce la mauvaise clef, ou est-ce le mécanisme qui est trop abîmé pour s’ouvrir? That is the questieune. Pas plus de vingt minutes plus tard, la porte est ouverte.
Entrons dans la pénombre inquiétante de l’endroit. En effet, depuis ma rencontre impromptue avec ce gros serpent venimeux sur le petit chemin l’autre jour, j’aime un peu moins les petits coins sombres et les empilades de cochonneries le long des murs. Et malheureusement, il n’y a que ça ici. Alors, allons-y tranquillement. Imaginez que vous passez la balayeuse chez-vous et que derrière le sofa, il pourrait y avoir un gros serpent venimeux qui vous saute dessus! Ça rend un peu nerveux.
J’ai acheté 40 sacs à vidange l’autre jour (voir : Magasiner avec style) et je commence à les remplir avec un paquet de vieux tuyaux, de vieux chiffons, des vieux machins rouillés de toutes sortes. Le travail va bon train. A travers les détritus, on devine un peu l’histoire de l’endroit. De la plomberie ancienne en acier fileté jusqu’aux tuyaux en pvc à embouts collés, tout est là. Il y a de vieux bouts d’outils rafistolés, des fils de fer, des pots de peinture séchée et toute sorte de bisounages dérisoires laissés inachevés par quelques bricoleurs de passage. La pelouse en face de la remise accueille maintenant un énorme monticule de déchet. Du sérieux.
À deux heures, sous un soleil implacable, l’endroit devient vite comme un sauna sec, sous les craquements incessants de la tôle ondulée du toit, qui se dilate sous l’effet de la chaleur extrême. Oh! mes bancs de neige natal, où es te vous?! (Je ne dis ça au fond que pour vous taquiner.)
En fin d’après-midi, c’est M. Charls qui se pointe après une longue tournée à Ficksburg, pauvre lui. Il trouve cependant la force, par pure gentillesse, de me donner un coup de main avec le balayage de la première salle. Il doit y avoir environ deux pouces de poussière sur le plancher de béton craquelé. On met nos masques et on nettoie. Une petite heure après, tout est propre. Un beau moment de satisfaction spontanée.
La journée est bien avancée, mais on décide tout de même de jeter un coup d’oeil sur le local attenant dont la porte est aussi cadenassée. On essaie tout le trousseau de clef, rien à faire. Nous n’avons pas la clef. Je décide de me faufiler par une ouverture intérieure entre les deux parties du bâtiment, pour dévisser les noix qui retiennent le fermoir de la porte à l’intérieur. Du pur gossage avec à l’aide d’une grosse clef anglaise, seul outil disponible sur place. La persévérance finit toujours par payer. La porte cède et s’ouvre sur un capharnaüm indescriptible. Plein de trucs moisis empilés partout. On ne voit plus le plancher. Charls et moi on se regarde, et décidons de reporter au lendemain l’investigation et le nettoyage des lieux.
Mais avant de partir, une petite étagère retient mon attention. Sur celle-ci, on retrouve des piles de CD poussiéreux, tous dans leur boîte, tous pareils. C’est une compilation de musiques que l’on retrouvait sur scène, ici, dans la vallée, lors des festivals de musique de la Rustlers Valley des années 90. L’ancien propriétaire des lieux, un dénommé Frek (se prononce Frik) tenait ce Woodstock local quelques fois par année. Une vraie mine d’or!
Dans ce temps, la vallée était resplendissante de beauté. Il y avait des jardins fleuris avec de petits ruisseaux qui cheminaient sous de petits ponts romantiques. Il y avait aussi de jolis pavillons aux toits de chaume pointus, un hôtel de luxe plein de charme, un resto, un bar, une piscine etc… Nous pouvons toujours voire aujourd’hui les traces de cette luxuriante époque et ne pouvons que penser que tout cela avait hélas un prix, et que ce prix devait en être payé par les habitants du coin. Mais au moins, me disent les plus vieux, c’était dur, mais tout le monde pouvait manger. Que penser de tout cela? Il nous est cependant permis de croire que cet homme, Frek, aimait profondément son domaine idyllique. Après les incendies successifs de 1997 et de 2008 son cœur n’a pas tenu le coup et il est décédé très peu de temps après.
Ces CD sont donc une relique musicale unique de cette époque, qui fût elle-même une époque remarquable de la vallée. J’ai très hâte d’avoir accès à un appareil capable de lire les CD. C’est une tranche du passé de Naledi qui s’offrira alors à nous.
Donc, tout progresse tranquillement. On essaie de faire les choses en évitant les erreurs du passé. On laisse la parole à ceux don les rêves furent trop longtemps ensevelis sous les ambitions des autres. Tous les autres.
Ne laisser personne derrière, voilà le crédo de la nouvelle vallée.
Denis



