Faire un petit trou… 

05 mars 2023

Faire un petit trou… 

 

Chers amis, aujourd’hui je tenterai de vous expliquer, par une description exhaustive des faits, de quelle façon il faut procéder pour faire un petit trou dans une paroi de métal. Ne riez pas, cette notion est fondamentale dans la compréhension profonde et globale du mode de vie Naledien. 

Tout d’abord, rappelez-vous que mes camarades voyageurs ont apporté au centre d’art, une extraordinaire panoplie de portables fonctionnels qui auront pour but d’actualiser la présence des villageois dans le 21ieme siècle. Ce n’est pas rien. Toujours inquiets des disparitions spontanées d’objets de valeurs, certains de mes camarades du village ont manifesté le désir d’avoir un coffre- fort pour ranger les portables la nuit, ou à tout moment où ils ne seraient pas sous étroite surveillance. Cela me semblait fort légitime, alors j’ai confié à mon ami M. Charls le soin de trouver l’objet lors de l’une de ses nombreuses virées en ville. Et ce fût fait. M. Charls est d’une efficacité redoutable. On amène donc la bête au centre d’art, qui, rappelons-le, est fabriqué avec des conteneurs métalliques assemblés. Nous fîmes alors des plans pour installer la grosse boîte en métal de façon sécuritaire en la boulonnant au mur. 

Maintenant, faisons un bond historique dans le temps, et rappelons-nous qu’il y a quelques années, nous avions mis sur pied, mon camarade Jim et moi, un atelier de menuiserie digne de ce nom à deux pas du centre d’art. Nous avions alors construit de nombreux objets et meubles, utiles à la communauté. Plusieurs outils avaient été achetés à cette fin qui nous ont servi loyalement. Avec la Covid cependant, les choses ont vite tourné au marasme ici au village. Beaucoup d’hommes et de femmes ont dû s’exiler afin de trouver de l’ouvrage en ville. Jim n’a pas échappé à cette règle et l’atelier de menuiserie s’en trouva abandonné.  

Sachant cela, à mon arrivée au village cette année, je suis quand-même allé à la remise à outils que nous avions aménagée à l’époque, pour voir ce qu’il restait des outils achetés il y a cinq ans. Grosse déception, la remise était presque vide, à l’exception de quelques outils brisés et de gros monticules de déchets tel que mentionné dans une lettre précédente. Malheureusement, la pauvreté est difficile à supporter et ne permet pas de manger à sa faim…  

 Trois jours plus tard, mon camarade Tabo, nouveau chef du village, vient me trouver et me dit qu’il est bien possible que M. Jim ait conservé certains outils chez-lui, à l’abri de disparitions spontanées. Le lendemain, je pars donc avec Jerry, un des gars du village (car on n’arrive pas chez les grands-parents de Jim comme étranger, pour demander soi-même où sont les outils) et on arrive au fond du village, devant la case des grands-parents. Tout se passe bien. On reste à distance respectueuse jusqu’à temps que l’on soit invité à aller plus avant. 

En cherchant bien, on finit par trouver quelques trucs dont une perceuse sans fil qui a vu de meilleurs jours. On rapporte nos trésors à Marakong. 

Retour au centre d’art. On a un trou à faire dans la paroi de métal. On va chercher la perceuse en question, une boîte de forets dont il en manque une bonne moitié et quelques vis et boulons trouvés dans des boîtes éparses lors de notre grand ménage récent. On commence. Perceuse et foret sont assemblés. On part la machine, le moteur s’élance mais rien ne tourne au bout. Rien du tout. Avant arrière, pas plus. On essaie la marche au ralenti, ça tourne un peu. On y va quand-même. Drill et drill et drill, rien ne perce, mais curieusement, la perceuse prend feu. Une fumée terrible s’en échappe. Jette la perceuse. Retour à la case départ.  

 

Emporté par une crise de foi extrême, (non, pas le foie, la foi) je me tourne vers M. Charls et lui dit : 

- Il me semble qu’à l’époque, nous avions une perceuse industrielle branchable. Tout d’un coup qu’on ne l’aurait pas vue la dernière fois chez Jim…  

Et Charls de me proposer d’aller vérifier cette pensée désespérée dès le lendemain. Excellent.  

 Jour 3 

 Comme de fait, par l’intercession miraculeuse de Saint-Jude, M. Charls trouve et rapporte la perceuse en question. Hourra! On court au centre d’art. Une équipe de trois hommes incluant cette fois notre camarade Yves, ancien pompier de son état. À trois on va l’avoir! 

On commence. On enfonce le foret dans le mandrin…où est la clé pour serrer le mandrin?... 

-On ne sait pas. Aaarrrgg!! 

-Il me semble que j’en ai vu une dans l’armoire de la remise quand on a fait le ménage. On va voir! 

Où est la clef de la remise?  

-Je ne sais pas. Ce n’est pas toi qui l’avais? 

- … 

- Je vais aller voir à Marakong.

Elle y est. Retour au centre d’art. 

 

-J’ai trouvé la clef. On y va.  

Arrive à la remise à outils. Ouvre l’armoire, la clef de serrage s’y trouve. Prière de remerciement à Saint-Joseph. En fait, ce n’est pas vraiment la bonne clef pour cette perceuse, mais en la regardant un peu de travers, on va y arriver. Retour au centre d’art.  

·  Qui a la clef du centre d’art? 

·  C’est Loulou je crois, elle est venue la chercher tout à l’heure pour son cours de couture.  

·  - Où est Loulou?  

·  - À Marakong je crois. 

Retour à Marakong. Trouve Loulou et la clef. Retour au centre d’art.  

·  Ça y est, j’ai tout. 

On branche la perceuse, on installe le foret d’une dimension presque adéquate, on serre la tête avec la clef presque adéquate, on fait nos marques à la bonne place et on part la perceuse. 

Rien. 

On essaie à nouveau. Rien. La prise fonctionne- t-elle? Va chercher quelque chose pour vérifier la prise. Tout va bien. Ce n’est pas la prise. Bon, il va falloir y aller pour une opération à cœur ouvert. Ça prend un tournevis cruciforme. On en a un? 

·  Hummm 

·  Peut-être dans la remise à outils. Il y a une boîte noire avec quelques affaires dedans. Prions Saint-Isidore qu’on y trouve ce que l’on cherche.  

Retour à la remise à outils. Qui a la clef? 

·  C’est moi. (ouf) 

On entre. Ouvre l’armoire, trouve la boîte noire. On l’ouvre, fouille et qu’est-ce que l’on trouve au fond. Un tournevis cruciforme. Alléluia. 

Retour au centre d’art. On a la clef. 

 On entre. On défait la perceuse au complet et commençons à jouer avec les fils pour voir s’il n’y aurait pas un faux contact. Pas de faux contact apparent.  

M. Charls prend alors les choses en mains. Il se concentre drôlement. Ça parait parce qu’il a de grosses veines qui ressortent sur son front lorsque l’heure est grave et qu’il faut trouver une solution. 

Il commence à jouer avec les brosses autour du moteur. Celui-ci a un hoquet. Espoir. Je lui suggère de virer les brosses de bord et de réassembler le tout. Prière au frère André, spécialiste du virage de brosse. Ça marche, le moteur s’élance vaillamment. On installe un foret dans la machine, on s’approche du mur, on part la machine. Et tourne et tourne et tourne, pas de trou. Le foret est émoussé. On en prend un autre. Pas mieux. La tension monte dans le groupe, il ne reste pas beaucoup d’option. On en prend un troisième. Ça marche. On fait un trou. Mais il n’est pas de la bonne dimension. On ne peut pas tout avoir. On fouille au fond de la boîte noire et on y trouve un foret un peu plus gros. On l’installe. On fore. Ça marche. En zigonant passablement, on arrive à insérer un boulon dans le trou. Victoire éclatante. On vocifère, on serre des mains, on se fait l’accolade. On vient de faire un trou. Un vrai trou. 


On va pouvoir installer le coffre-fort. On apporte la boîte. La porte est fermée. Où est la clef ?... 

Comme vous pouvez le constater, il faut une patience d’ange ainsi qu’une panoplie impressionnante de Saints protecteurs pour arriver à quoi que ce soit dans ce village et même partout ailleurs sur le continent. C’est dans l’ordre des choses. Je vous laisse deviner ce que cela implique que d’envoyer ses enfants à l’école chaque jour.   

Le simple fait de devoir aller au guichet automatique pour y faire une transaction, implique une bonne journée de planification. Qui pourra vous y amener. Le guichet sera-t-il ouvert? Qui pourra vous ramener au village et quand? Et dans quelle condition. Cela n’est qu’un tout petit geste à poser dans l’ensemble des responsabilité quotidiennes auxquelles font face surtout les femmes du village.  

 

Vos dons, tout au long de l’année, ont contribué à soulager ces familles d’un poids énorme, tout en assurant un avenir prometteur pour toute la communauté. Cela est tangible, réel, vérifiable, fiable et terriblement efficace. Je ne puis concevoir une aide plus directe que la vôtre à travers la simple entremise de notre vigilante attention. Comment vous remercier à nouveau de ces bienfaits récurrents? Ou peut-être me direz-vous que ce à quoi vous consentez lorsque vous dites ‘oui’ à ces demandes d’aide répétée, n’est autre que votre assentiment à une plus grande justice, une plus grande équité qui fait cruellement défaut à ce monde qui nous entoure et qui semble si indifférent, si invisible en dehors de notre cercle de confort.  

Agir à la mesure de notre propre communauté, c’est cela qui compte. On ne sauvera pas le monde. Certainement pas. Mais on peut transformer radicalement la vie d’hommes et de femmes qui existent vraiment, et cela, sans même la perte de nos privilèges d’être né sur un autre continent.  

 

Je reviendrai bientôt à Montréal près de ceux que j’aime, vivre ma vie dans ce monde si différent. Cela, je vous l’assure, est de loin l’étape la plus confrontante du voyage. Non pas de retrouver l’amour des miens, bien sûr, mais bien d’appartenir à ce monde dont beaucoup d’acquis ne me semblent ni légitimes ni viables. Le bonheur véritable, tel que je le ressens profondément lorsque je suis parmi ces gens qui n’ont rien, ne se mesurera jamais en terme de confort et d’accumulation de biens. Cela n’est plus possible.  

Il faut mettre le cœur en avant et partager les rires et les pleurs de nos frères. Ma consolation, et elle est de taille, sera de vous savoir près de moi, vous tous qui avez dit oui, et qui un jour serez à mes côtés pour un autre voyage à Naledi. 

Avec mon amitié. 

   Denis 

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