Magasiner avec style...
26 février 2023
Magasiner avec style...
C’était une autre belle matinée à Naledi. Toujours cette petite brise matinale qui transporte les effluves estivales du fond de la vallée, jusqu’à flanc de colline, d’où nous contemplons les parois escarpées des hauteurs environnantes. Bientôt, les moutons et les vaches viendront paître nonchalamment au pied de Marakong. Nous sentirons alors cette paix vespérale qui berce nos heures africaines et qui nous insuffle le rythme lent des marcheurs austraux.
Après le petit déjeuner, nous résolûment, Charls et moi, d’aller faire quelques courses à Ficksburg pour acquérir les effets nécessaires à la complétion de nos projets de bricolage. Bonne idée. Il était 10 :00H et le petit camion de la coop était fin prêt pour une petite virée en ville. Tabo (le nouveau chef du village qui est aussi le chef dans notre cuisine) nous demande si nous serons de retour pour dîner. Charls et moi nous concertons du regard, et on lui répond en cœur que nous serons là comme un seul homme à 13 :00H tapant.
Nous prenons donc la piste qui mène au village en cahotant dans tous les sens, histoire de nous délier l’ossature. Arrivés au village, quelques dames et leur progéniture nous attendent pour profiter du transport jusqu’à la ville. Aucun problème.
On s’élance donc vaillamment sur la piste encore boueuse des dernières pluies, vers la ville qui se situe à plus ou moins 30 minutes du village. M. Charls a le volant bien en main, malgré les nombreux appels téléphoniques qu’il reçoit. Ce sont de petites commandes expresses pour quelques villageois. C’est normal, c’est toujours comme ça.
Arrivés à Ficksburg, on laisse les dames près du Shop Rite où semble t’il se trouve un espèce de point de ralliement pour les habitants de Naledi. Il y a là un monsieur assis qui grille de petites brochettes ainsi que des dames qui vendent des fruits locaux. Autour d’eux, gravitent des visages connus, dont celui de Ntate Japi un des doyens du village voisin. Je le salue donc, et nous partons bras dessus, bras dessous, vers le guichet automatique le plus proche. Pas de chance, il y a en ce moment une coupure d’électricité comme il y en a quotidiennement depuis un bon bout de temps déjà. On se retrouve donc dans une longue file devant la banque. Ce n’est pas grave, il fait beau. On s’installe tranquillement sur le trottoir animé par tous ces passants colorés et bruyants qui défilent en riant d’un bout à l’autre de la rue.
Soudainement, je me rends compte d’un truc étrange. Je suis le seul Blanc de la file d’attente. Plus que ça, je suis le seul Blanc de la rue au grand complet et de tous les commerces que je puis apercevoir aux alentours. Ça, c’est vraiment étrange. L’inconnu, c’est moi. Celui que l’on ne connaît pas et qui semble si différent, c’est toujours moi. Tout est renversé. C’est un peu troublant tout de même. Je m’imagine être dans un milieu où je ne serais pas le bienvenu, où je devrais être parce que chez-nous, d’où je viens, ce ne serait plus vivable. Ce doit être un sentiment terrible. La chose la plus triste qui soit. Le racisme est la racine même de la stupidité et de l’ignorance. Mais ici, rien de cela.
Après un temps, M.Charls et moi décidons d’aller écumer les quincailleries du coin pour essayer d’avancer nos tâches de la journée. J’ai ma liste toute pleine de petits dessins comme c’est à mon habitude de le faire. Nous voilà en route pour de nouvelles aventures.
Première quincaillerie, pas de vis, pas de tournevis, pas de gants de travail, pas de moppe et pas de grand-chose finalement. Par contre, il y avait quand-même un balais, des sacs à poubelle et du lubrifiant tout usage pour améliorer le fonctionnement de toutes les serrures de Marakong qui en ont bien besoin.
Deuxième quincaillerie, coup de chance, on trouve une scie à chaîne, en spécial à part de ça. On court après un vendeur pendant un petit dix minutes et on achète la bête. Le vendeur nous dit qu’ils vont la faire partir sur le perron de La quincaillerie pour voir si elle fonctionne bien. On sort dehors et on crinque la machine. D’abord le vendeur, puis Charls, puis un troisième homme qui arrive à la rescousse. Puis crinque, puis crinque… Les voilà tous les trois en sueur. Je dis au vendeur que je ne suis pas très impressionné par la machine en question. Il me dit que c’est normal. La première fois que l’on part une machine à gaz. Humm…
Après un petit quinze minutes, la machine part. Elle pète le feu! Ça vire comme une formule un! On fait peur aux nouveaux arrivants qui essaient de rentrer dans le magasin. Trois malades qui jouent de la scie à chaîne dans les airs avec des airs de Rambo sur amphétamines. Tout un spectacle! On emballe la chose et on repart. Il est environ 2 :30H. Bye bye dîner.
De guerre lasse, on retourne au point de ralliement. Il manque un paquet d’items, mais on est tannés de chercher et vraiment, les prix, c’est rendu n’importe quoi.
Nous voilà au Shop Rite. Les dames sont là, mais il semble qu’il manque encore quelques personnes qui aimeraient bien profiter de la balade en camion. Bon, on attend. Arrive un, arrive l’autre…tranquillement. M. Charls a faim. Il profite donc de l’occasion pour se rendre au PFK du coin pour se sustenter. Il m’en offre gentiment. La dernière fois que j’ai mangé du PFK c’était en 2016 à ce même endroit.
Me voilà donc seul sur le trottoir entouré de pas mal de monde qui, tout-à-coup, semblent s’intéresser à mon cas. Un grand monsieur, écume aux lèvres, ivre au-delà de tout, vient me faire la conversation. Il se plante à six pouces de mon visage pour me raconter je ne sais quoi à propos de ce que je n’ai aucune espèce d’idée de quoi il me parle. Je recule subtilement, un peu étourdi par les vapeurs. Il me suit. On a presque fait le tour du camion de cette façon. Une éternité. Je finis par m'asseoir dans le camion. Voilà mon bonhomme qui rapplique avec une jeune dame qui me dit dans un élan de ferveur éthylique, être amoureuse de moi. Partons, dit-elle, marions-nous, et faisons des enfants. Rien de moins. Ils me regardent et attendent la réponse. Disons qu’il m’a fallu faire une petite mise au point afin d’éviter à tout le monde de grosses déceptions. La jeune femme m’a demandé pourquoi je ne portais pas mon alliance si j’étais si marié que ça… Ahhhlala…
M. Charls arrive enfin. Le camion est entouré d’une foule bigarrée, chargée de paquets de toutes sortes. Le monticule est impressionnant. Je me penche vers mon compagnon et lui demande ce qui se passe au juste. Il me dit que tout le monde est arrivé et qu’on va pouvoir partir dès que tout le monde sera monté à bord.
- Tout le monde…?
- Tout le monde!
- Heuuu…Tout le monde qu’il y a ici…
- Oui monsieur!
Tout va bien me dis-je. On est en Afrique. Tout est possible.
Après trente minutes, environ seize personnes au moins ont pris place dans la boîte du camion avec les victuailles et les bébés. Trois de plus prenaient place dans la cabine avant avec un bébé de plus assis sur moi. Le camion était tellement pesant, qu’on a filé un petit vingt kilomètres heure sur la route du bonheur. Soleil de plomb, à nous la grand-route! Hilarité générale!
Nous sommes arrêtés dans trois fermes au retour pour laisser des passagers descendre, puis, nous sommes arrivés au village…juste à temps pour souper.
Charls et moi avons tout de même accompli un exploit extraordinaire lors de ce périple mémorable. Celui de rapporter un gâteau forêt noir au complet, intact, jusqu’à Marakong. Faut le faire! Un vrai miracle de l’enfant Jésus.
Les hommes de peu de foi sont à nouveau confondus!
Denis


