Les funérailles...

23 février 2020

Une autre journée très instructive et touchante. En fait, c'est difficile d'avoir une journée plate par ici semble t'il.
Ce matin de bonne heure, je suis monté en "ville" avec mon ami Charls. Nous devions faire vite car, au village c'était une grande journée. C'était les funérailles de la doyenne qui est décédée à 93 ans. Mais ça, je vous l'avais déjà dit.
Alors, de retour à Naledi, on va chez Charls qui doit mettre son pantalon noir et sa chemise orange. Pourquoi orange? Parce que c'est la couleur officielle de sa "burrying cociety" ( je ne sais pas si ça s'écrit comme ça...) C'est un regroupement religieux auquel on souscrit toute sa vie pour économiser en vue de son décès. Il y a beaucoup de groupes comme ça. C'est un peu comme une assurance vie... Alors dans le village, il y a peut-être une vingtaine de personnes qui font partie du même groupe.  Ils ont veillé toute la nuit pour préparer toute la nourriture pour la foule de gens présent. ( Dépecer un boeuf complet en une nuit et le transformer en petits cubes pour le lendemain midi, c'est du travail...et il faut faire la même chose avec quelques douzaines de poules et tout le reste)
Donc Charls a revêtu sa chemise orange et on part pour la maison de la défunte qui est a deux pas de là. Il y a un grand chapiteau sous lequel se pressent les dames assises sur des chaises. Derrière se trouvent les hommes, debout et sans chapeaux. (J'ai attrapé un moyen coup de soleil sur la tête, ça je peux vous l'assurer. Il faut bien respecter l'étiquette)
Et puis les chants commencent. Le cercueil est dans la maison et c'est comme si on l'appelait à l'extérieur. Après un moment, le cercueil sort et on le pose sur des tréteaux devant l'assemblée, il y a peut-être 200 personnes autour. Les chants recommencent ainsi que des pleurs lancinants comme une psalmodie triste.
Je ne sais pas comment se distribuent les rôles, mais ces chants peuvent partir de n'importe où, spontanément. Parfois, une femme menue entonne une mélopée avec ... Je ne sais pas comment dire...
Une telle foi, une telle intériorité, un tel abandon, oui c'est ça, un tel abandon, que c'en est bouleversant. Mes yeux pleuraient tout seuls devant cette beauté absolue. Quand le coeur entonne et vient supporter la porteuse ou le porteur du chant, c'est comme si on montait avec lui, c'est comme si on s'élevait avec toute la nature autour. Cela a quelque chose d'essentiel, de très ancien, quelque chose qui tient de la vraie nature de l'homme d'avant les convenances et les apparences. C'est un chant vrai. Je vous le dis, j'ai pleuré une grosse heure sans le vouloir, sans contrôle aucun. Je me tenais à trois mètres de la beauté absolue.

A la fin, on porte le cercueil jusqu'à un véhicule et on l'amène jusqu'au cimetière qui est un tout petit lopin de terre herbeux à deux pas de là.          ( Tout est à deux pas de là) on le pose sur les courroies comme on le fait chez-nous et on le descend en terre. A ce point, les hommes sont autour de la tombe et les femmes sont un peu en retrait sous une toile qui fait de l'ombre. Je me demandais pourquoi, je l'ai su plus tard. Quelques chants sont entamés puis deux hommes descendent dans la tombe. Ils attendent. A un moment donné, arrive la peau de la vache sacrifiée encore toute sanguinilente, on la pose sur le cercueil au fond du trou. Cela fait, les hommes sortent et une pelletée de terre est prélevée du monticule. Les jeunes enfants prennent un peu de terre dans leur mains et la jettent sur le cercueil. Puis, les plus vieux commencent à pelleter d'abord tranquillement, puis frénétiquement jusqu'au dernier caillou. Tout est remis en place et plus personne n'y touchera jamais. C'est fini.

Les invités sont alors priés de venir se restaurer à la maison. Devant la maison, il y a un grand bac d'eau avec des morceaux d'aloès qui flottent dedans. Tous doivent s'y laver les mains. On insiste pour que je passe avant tout le monde dans la file des convives vers la table remplie de nourriture. J'ai poliment demandé à conserver ma place dans la file. Cela m'aurait rendu très mal a l'aise que le seul blanc de la place passe avant tout le monde. Ils ont même poussé la gentillesse jusqu'à m'inviter avec les hommes les plus hardis pour manger avec eux. Cela consiste à une grande bassine posée au sol avec différents morceaux de viande non identifiable baignant dans un jus brun pâle. Chacun se penche avec hardiesse et s'arrache un morceau sur l'agglomération. On mange cela avec un peu de pâte blanche qui est un extrait de maïs que l'on appelle popa. A me voir hésiter avant de me précipiter dans le bassin, il y a un convive qui m'a dit : ça, c'est peut-être un peu trop africain pour toi!
Je lui ai dit qu'il avait sans doute raison. (En fait, la dernière fois que je m'étais plié à cette coutume c'était à un braill , bbq africain , ou on m'avait servi une tête de cochon mijotée dans un jus brun, en fait, ce n'est que le gras de la tête coupé en dés avec le crâne... Cela m'a pris cinq jours à m'en remettre gastriquement.) (et encore) Donc, je suis allé reprendre ma place dans la file et j'ai mangé avec modération un excellent repas. Assis près d'Anton, chef du village, j'ai entendu le nom et le statut familial de chaque convive présent ou presque. Après trois minutes le tête me tournait un peu. Trop de noms. Anton me dit que quand il y a des réunions entre gens de différents village il est très important de s'identifier ( il ne disait pas cela pour moi) et de donner ses liens de parenté car de cette façon, il est plus facile d'éviter les mariages de gens qui seraient trop proches génétiquement. ( il n'a pas dit génétiquement... mais bon)
Et puis tout le monde rentre chez-soi, le plus souvent à pied sur plusieurs dizaines de kilomètres.  Je crois que demain dimanche, le village sera des plus tranquille. Plusieurs n'ont pas dormi depuis plus de 48 hres.

Tout ça, entre autre, m'a laissé a penser que j'aimerais bien voir le jour ou le monsieur noir qui ne serait pas du coin, sera invité au buffet des funérailles de la doyenne de Montréal, avec la même gentillesse et la même prévenance qu'ici je l'ai été par la communauté toute entière.
C'est une leçon de tolérance et de savoir vivre que je ne suis pas prêt d'oublier. Nous n'avons à ce chapitre, du haut de notre occidentalite, aucune leçon à donner à quiconque. Surtout pas à ces  paysans, pauvres et sans éducation qui accueillent l'étranger sans peur et sans arrières pensées. Je leur serai à jamais reconnaissant.

Malheureusement, et vous le comprendrez bien, je n'ai pas pu prendre de photos pendant cette cérémonie. J'espère que mes mots auront su vous donner une petite idée de l'ambiance qui régnait en cet autre jour mémorable.
A la fin du repas, Mma Justine est venue me voir pour me remettre une lettre bien spéciale. En fait, elle vous était destinée. Vous tous qui, d'une façon ou d'une autre avez contribué à alléger et améliorer la vie de tous ces gens. Ce petit mot, écrit à la main sur un vieux papier ligné, exprime toute sa gratitude à votre égard de façon simple et très touchante. Vous avez quadruplé sontbudget annuel alloué par le gouvernement pour prendre soin de ses élèves pendant toute l'année. En bas, il y a les trois signatures des responsables du comité école. Elle joint à cette lettre quatre photos de ses élèves en classe. Tellement mignons!
Sachez aussi que vous avez contribué a soutenir financièrement la garderie ainsi qu'à créer un fond de dépannage destiné aux urgences qui pourraient survenir durant l'année pour les élèves du secondaire. Tout cela, en plus d'avoir permis au centre d'art d'exister aux yeux de la communauté comme une réalisation d'une grande beauté qui leur appartient maintenant en propre puisque le fond généré par les surplus de la restauration est maintenant exclusivement géré par trois enfants
(Dans la trentaine quand-même) du village et que la bâtisse elle même ressemble désormais à une grande maison qui ressemble aux leurs. Le lien est maintenant créé, la gestion des fonds leur appartient, et ce lieu maintenant magnifique deviendra un symbole fort de Naledi.

Ce qui m'amène maintenant à cette nouvelle magnifique que je devais vous annoncer hier et que je vous écrirai....probablement demain ou au plus tard lundi. Cette fois c'est promis.
Je dois aller essayer de soigner ce super coup de soleil à la tête. Aïe aïe aïe !

Et pour tout ce que vous avez fait par vos dons pour cette communauté, mille fois merci! Je manque de mots pour vous dire à quel point cette aide est appréciée et nécessaire. A chaque année lorsque je reviens, je vois la misère reculer d'un pas. Les mesures mises en place sont des mesures pérennes desquelles aucune personne du village n'est exclue.

Merci merci merci...

Denis
Xx

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Petite chronique