Retour sur le voyage à Naledi...
14 mars 2023
Bonjour à tous
Je suis de retour à l'atelier ce matin et je regarde tomber par la vitrine une neige mouillée qui ne me dit rien qui vaille. Le temps est frais, le ciel est lourd, et la grisaille ambiante emporte mes pensées vers cette vallée verdoyante où nous avons vécu, mes camarades aventuriers et moi, de si beaux moments.
Je sens encore la tiédeur du vent matinal sur mon visage et j'entends monter du contre-bas la cloche des moutons qui viennent paître aux alentours. Un parfum d'herbe fraîche et de romarin sauvage embaume l'espace entier entre la forêt d'eucalyptus et Marakong, notre havre de paix. Plus loin, au-delà des pâturages, les premiers balbutiements de la vie au village égaient le sentier qui y descend en contournant les derniers bosquets d'arbres fruitiers qui le bordent près des clôtures.
Cela ne fait que quelques jours depuis mon retour, aussi bien dire de longues années comme ce fût le cas depuis ma dernière visite, avant la pandémie. Heureusement, ici, il y a l'amour de celle que j'aime et qui me tend les bras, me rappelant de la sorte quelle est ma vraie place dans ce vaste monde.
Il y a des choses qui, même si elles arrivent dans notre réalité commune, sont assez difficiles à décrire, voir impossible à faire sentir dans leur intégralité. Plusieurs moments de ce voyage sont de cet ordre. .
Comment décrire qu'au détour d'un sentier, debout sur une pierre qui a vu des millions de soleils défiler dans son firmament, qu'enfin, enfin, vous sentez profondément cette appartenance au monde, animal, végétal, minéral, qui semblait vous échapper depuis si longtemps. Comment dire que, seul sur ce rocher, votre vie prend sa place dans la beauté du monde, dans sa dure et éblouissante réalité.
C'est de cela dont je parle. De ces moments où les larmes coulent sans trop savoir pourquoi, juste parce qu'elles arrivent à ce point du cœur qui sommeillait en silence derrière le murmure du quotidien. Tu sais, cet endroit de toi-même que tu reconnais soudainement, le vrai, qui arrive comme un ami très cher, oublié de longue date. C'est l'enfant que tu étais qui se trouve là, sans prévenir, qui t'attendais patiemment sur ce rocher dénudé. Comment te dire. ...
Et puis, me diras-tu, la pauvreté? Que faire devant la pauvreté? Quand tu arrives au village et que les cabanes de tôles s'imposent à toi dans leur brûlante réalité, Que feras-tu? Que faire de ta propre richesse, de tes souliers neufs qui ornent tes pieds comme une étiquette de pays riche. Que faire de cela me diras-tu. Eh bien, je vais te le dire ce qu'il faut faire, je vais te le dire parce que je t'aime bien et que c'est important de le partager.
La première chose qu'il faudra faire sera sans doute d'ouvrir les yeux et de ne pas parler pour ne rien dire. Trop parler nous cache les maux dans la parole des autres. Puis, tu attendras, tu attendras neuf ans s'il le faut. Un jour, une jeune femme arrivera et te diras: Ntate Denis, viens voir mon bébé. Elle te fera traverser la cour et tu entreras dans la première hutte de terre que tu verras. Tu entreras à sa suite comme je l'ai fait et tu verras sa mère dans une chaise roulante, le regard perdu au-delà de la souffrance, et tu lui diras bonjour, Doumela mè, et elle ne te répondra pas. La jeune femme t'emmènera ensuite plus loin, dans l'obscurité de la chambre du fond et il sera là, le nouveau né. Tu le regarderas emmailloté dans sa couverture de laine malgré la chaleur étouffante et tu donneras ton doigt à sa petite main et il le prendra comme le font tous les bébés du monde.
Après, peut-être te diras-tu que de donner la vie, ici, dans ce monde si dur, c'est d'avoir une foi inébranlable en la vie, une foi plus grande que la raison et bien plus grande que nos signes apparents de richesse ou de pauvreté.
Cinq minutes, c'est tout ce qu'il faut dans cette vallée pour te faire comprendre qui est pauvre et qui ne l'est pas.
Mes amis revenaient le soir à Marakong et souvent, nous parlions après souper de toutes ces choses qui nous trottaient dans la tête. Parler sous la lune qui brille la nuit laisse juste assez de place aux mystères cachés de nos vies pour qu'enfin on puisse les regarder sans en avoir peur. Parmi les questions qui s'exprimaient souvent, il y avait celle-ci :
- Pourquoi suis-je ici, à faire ce que je fais?
Chercher sa place. Trouver un sens à ses actions. Qu'est-ce que ça veut dire vraiment donner? Et les réponses tombaient toutes aussi pertinentes et personnelles les unes que les autres, découlant de nos observations, permettant de définir pour chacun d'entre nous, ce qu'était notre voyage véritable.
Pour moi, Naledi est tout pareil à la lointaine Côte Nord, ou à Anticosti en été. Pareil à ce carré de chaleur lorsque sous nos couvertures, mon amour me prend la main et qu'il neige dehors. Ce n'est rien de plus. C'est tout ce qu'il me faut.
Ce voyage, nous l'avons tous fait ensemble, tous ceux de notre communauté, ici, sous l'étoile polaire, qui avons bien voulu rêver un peu plus, un peu plus loin. Un jour peut-être viendrez-vous avec moi sentir ce parfum d'aventure et de rencontres quelque part sous la croix du sud.
Merci à tous ceux qui étaient du voyage, d'ici ou de là-bas.
Merci à mon amour pour ses si courtes nuits consacrées au partage de nos aventures.
Merci à Robert, Loulou, Yves et Julie pour avoir osé...
Merci aux gens de Naledi, nos frères et soeurs, pour nous avoir reçus comme tels.
À la prochaine
Denis
Note : Le mot de la fin : En souvenir de mon cher ami Anton ici avec sa fille et ses petits-enfants.

